Des économistes français appellent à un "keynésianisme vert" : ils suggèrent de profiter du programme de rachat d’actifs de la BCE pour financer des projets bas carbone. Le dispositif s’appuierait sur une Valeur Sociale du Carbone, qui permettrait aux porteurs de projets de réduire leurs coûts à hauteur de la quantité d’émissions évitées. L’idée semble séduire les ONG. Reste à savoir si le mécanisme va réellement être mis en place.

Bonne nouvelle sur le front du climat : en 2014, les émissions de CO2 dues au secteur de l’énergie ont stagné dans le monde, a annoncé en mars l’Agence internationale de l’énergie. L’économie mondiale a pourtant été en croissance l’an dernier. C’est la première fois qu’une telle pause est observée dans les émissions sans qu’elle ne soit due à une récession économique, a noté l’AIE.
Pour autant, les efforts de lutte contre le réchauffement climatique restent à intensifier pour espérer limiter la hausse des températures à des niveaux soutenables. Malheureusement, le prix du CO2 sur le marché européen de quotas d’émissions (ETS) est aujourd’hui insuffisant pour susciter les investissements bas carbone nécessaires. Et dans le contexte économique actuel, il paraît difficile de mettre en place des taxes carbone d’un niveau suffisamment élevé.

Mettre en place une Valeur Sociale du Carbone



En attendant que taxes carbone et prix des quotas augmentent dans l’UE, des économistes français ont imaginé un mécanisme de transition. L’idée ? Orienter vers des projets bas carbone une partie des 1 100 milliards de dollars d’actifs que prévoit de racheter la BCE (Banque Centrale Européenne).
Comment ce mécanisme fonctionnerait-il ? Les États définiraient ensemble une Valeur Sociale du Carbone (VSC), qui donnerait un prix suffisamment élevé à la tonne d’équivalent CO2 évitée dans les nouveaux investissements. C’est ce qu’explique une récente note consacrée au mécanisme par France Stratégie (l’organisme de réflexion rattaché au Premier ministre) et le Commissariat Général au Développement Durable. La note ne précise pas quel serait le montant de la VSC, le renvoyant à un processus d’accord politique.
Imaginons qu’une entreprise souhaite mener un projet bas carbone. Un organisme indépendant certifierait le nombre de tonnes de CO2 susceptibles d’être évitées grâce à ce projet. L’entreprise pourrait alors utiliser ces Certificats Carbone (CC) pour rembourser une partie de ses emprunts auprès du système financier. Le système financier serait lui-même intéressé à l’affaire, car la BCE s’engagerait à racheter ces Certificats Carbone au prix de la VSC.

Des prêts plus facilement accordés par les banques commerciales



Résultat : le coût du projet serait diminué d’autant pour cette entreprise, réduisant ses risques financiers d’origine climatique. Et le système financier, encore trop souvent réticent à financer des investissements bas carbone et avide de nouvelles opportunités de placements, accorderait plus facilement de tels prêts.
À tout moment, la BCE pourrait demander aux États de racheter les CC. De quoi aggraver le montant des dettes publiques ? "De quoi inciter plutôt les États à mettre en place une véritable fiscalité environnementale, susceptible de leur fournir les ressources pour le cas où la BCE voudrait exercer la garantie. Dans l’intervalle, la transition n’attendrait pas et les nouveaux investissements se feraient en intégrant d’emblée une forte valorisation du carbone", explique l’un des auteurs de la note, Étienne Espagne, chargé de mission pour France Stratégie.
Ainsi, l’augmentation progressive du prix du carbone via les autres mécanismes existants (ETS, taxes carbone) devrait à terme apporter des recettes fiscales suffisantes pour couvrir le rachat potentiel des CC.

Un mécanisme soutenu par les ONG



"Le dispositif a été présenté aux ONG, dont les retours sont encourageants. Il correspond à leurs attentes", assure le chargé de mission de France Stratégie. "L’idée me semble excellente", témoigne Bettina Laville, présidente fondatrice du Comité 21. "Elle permet d’associer compétitivité et lutte contre le changement climatique. De plus, elle prend vraiment en compte le changement de modèle nécessaire en soulignant que le carbone a une valeur sociale, c’est-à-dire une valeur qui n’est pas seulement mesurée par l’économie. Enfin, elle permet de donner une valeur suffisante au carbone pour les agents économiques", explique la fondatrice de la revue "Vraiment durable".
"Pour trouver des exemples de ce type d’outils, on peut remonter aux années 1930 et 1940, avec notamment le New Deal de Roosevelt. Avec cette différence qu’aujourd’hui, le but est non seulement social mais aussi environnemental. Ce serait du keynésianisme vert en quelque sorte", indique l’un des autres auteurs de la note, Baptiste Perrissin Fabert, chargé de mission au Commissariat Général au Développement Durable.

À quand une mise en application ?



Le dispositif sera-t-il un jour mis en œuvre ? "Le président François Hollande vient de demander à une commission indépendante de réfléchir à des solutions innovantes pour abonder le fonds vert international et plus largement financer les nécessaires transferts Nord-Sud dans le cadre des politiques climatiques. Cette commission doit rendre ses conclusions fin mai 2015. Notre proposition y sera discutée, entre autres", assure Baptiste Perrissin Fabert. 
Ce type de mécanisme ne sera pas adopté lors de la conférence de Paris sur le climat (COP21) fin 2015. "Mais ce serait bien qu’un alinéa du futur accord indique qu’il sera possible à l’avenir", précise de son côté Jean-Charles Hourcade, chercheur au CIRED (Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement), qui défend une telle idée depuis longtemps.

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